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Aux origines des toponymes Hoedic et Houat

La plus ancienne mention écrite des îles d’Hoedic et de Houat dont nous ayons connaissance  est celle du Grand Routtier et Pillotage de Pierre Garcie dit Ferrande daté de 1483 : Hudic pour Hoedic et Hohac, Hohuac et Houhac pour Houat. Des noms plus anciens, romains, ont bien été associés aux deux îles, mais ces liens nous semblent peu vraisemblables.  La graphie de ces deux toponymes mettra beaucoup de temps à se stabiliser et, de nos jours, une certaine fantaisie subsiste sur l’écriture de Hoedic.

Gaspard Hatchiss - © Melvan - août 2016
Actualisation des articles du même auteur paru en 2004 dans le n°1 de La Revue des deux îles, « Étymologie et orthographe d'Hoedic et de Houat » et en 2012 dans la Lettre de Melvan n° 19, « Graphie et cacographie des îles d'Hoedic et de Houat »

Siata et Arica dans l’Itinéraire d’Antonin (IIIe siècle-1518)

Bien avant les cartes marines, les voies maritimes et terrestres étaient décrites dans des textes appelés « itinéraires ». Le Grand Routtier fut un des derniers, de la fin du Moyen Âge. L'Itinéraire d'Antonin, bien que dédié à l’empereur Antonin le Pieux (86-161) est daté de la fin du IIIe siècle. Ce document anonyme décrit 372 voies, ou itinéraires, dans l'Empire romain. On ne connaît que quelques copies dont celle de Venise de 1518. Nous en avons extrait l'itinéraire, essentiellement insulaire, souvent associé aux deux îles. Ce rapprochement,  repris d'auteurs en auteurs comme vérité historique,  semble pourtant très spéculatif.  Les crochets dans la traduction qui suit précisent les correspondances généralement retenues avec les noms actuels. Si l’on reconnaît volontiers Uxantis pour Ouessant ou Sina pour Sein, d’autres associations sont plus hypothétiques...

« In mari  Oceano  quod  Gallias  et Britannias  interluit  insulae  Orcades  num.  III insula  Clota  in Hiverione  Vecta  Riduna Sarmia Caesarea Barsa Lisia Andium Sicdelis Uxantis Sina Vindilis Siata Arica.»
« Dans la mer océane qui baigne les îles gauloises et bretonnes [Grande-Bretagne]  sont les îles Orcades [Orkney] au nombre de trois,  l'île  Clota  [Arran,  Clyde]  en Hivernio  [Irlande],  Vecta  [Wight],  Riduna  [Alderney],  Sarmia  [Guernesey],  Caesarea [Jersey],  Barsa,  Lisia,  Andium,  Sicdelis  [Scilly],  Uxantis  [Ouessant],  Sina  [Sein],  Vindilis  [Belle-Île,  îles  Vénétiques],  Siata [Houat], Arica [Hoedic, Le Croisic, Île-de-Ré]. »

C’est donc à l’origine de cette courte phrase en latin que Siata est associé à Houat et Arica à Hoedic. Dans certains textes récents, Arica est parfois écrit Atica sans que nous en ayons trouvé la justification. Le rapprochement  de Siata avec Houat a été avancé sur des bases linguistiques. En vieux breton, le « s » suivi d’une voyelle aurait évolué en breton actuel vers un « h », et, de même, « ia » vers « oia », puis vers « oua ». Il y aurait alors eu une progression  de Siata vers Hoiat, forme dite médiévale (cf. infra), puis de Hoiat vers Houat. Aucune approche étymologique n'a par contre été proposée pour faire évoluer Arica vers Hoedic. Cette correspondance  ne résulterait que de la position de Arica après Siata dans l’Itinerarium, et à la proximité des deux îles. De même, Vindilis serait Belle-Île par le seul fait de sa proximité avec Siata et de sa position dans l’Itinerarium entre Sina associé à Sein et Siata-Houat.  Langouët observe cependant  que Vindilis est une forme plurielle, de même que Sicdilis qui correspondrait aux îles Scilly dans l’Itinerarium et propose de rapprocher Vindilis des îles Vénétiques de Pline. Ce groupe d’îles pourrait inclure Belle-Île, mais aussi les voisines Houat et Hoedic... qui ne sauraient alors  être Siata et Arica.

Considérons aussi cet itinéraire insulaire dans sa globalité. Il décrit les îles de l’océan baignant la Grande-Bretagne,  l’Irlande et la  Gaule  :  vaste  région,  nombreuses  îles,  de  toutes  tailles!  Les  premières  citées  sont  l'archipel  des  Orcades  à  l’extrémité septentrionale  de l’Écosse. Et les dernières seraient nos modestes îles de Houat et d’Hoedic au milieu du littoral atlantique de la Gaule ? Cinq îles majeures de ce littoral seraient ignorées : Groix, Noirmoutier, Yeu, Ré et Oléron. Les Orcades étant les îles les plus au nord, une logique géographique  aurait pu suggérer une association  Arica-Oléron,  l'île la plus au sud... Ré est d'ailleurs aussi proposée comme candidate pour Arica par Mathinsen.
Au total, les indices sont vraiment ténus pour assimiler Siata à Houat et encore plus Arica à Hoedic. Cette association semble peu vraisemblable.

Hudic, Hohac, Houhac dans le Grand Routtier de Garcie Ferrande (1483-1520)

Le navigateur Pierre Garcie Ferrande a laissé à la postérité le plus ancien document où sont citées pour la première fois les îles de Houat et d'Hoedic, dans des instructions nautiques décrivant les approches du golfe du Morbihan et de la baie de Quiberon. Le Grand Routtier est signé du 31 mai 1483 mais ne fut imprimé qu'en 1520, sous François 1er. Nous y trouvons non seulement les premières citations des deux îles mais aussi leurs premières descriptions — si brèves soient-elles —, une mention des Cardinaux et du dangereux passage entre « Hudic et Hohac » :
« Sache qua Hudic y a une chappelle plus près du bout d’amont que l’autre. (...) en amont de la chapelle, y a cinq ou six maisons. Et au bout de lui devers le suest y a deux ou trois petites isles et au bout de ces isles y a une pierre haulte et ronde qui s'appelle Cardinaulx. » « Sensuyt de Houhac. Si tu es pausé en la chambre de Hohac qui est devers lest suest de lisle, et est une boyec de sable qui est au travers dung petit boys ou il y a une chappelle, tu auras abris de nort de noroest et de oest siroest, et auras une petite isle devers le nort de la basse ou il y demourra quatre brasse de plaine mer et mortes eaues.   » « Et naye doubte de la pierre qui est entre Hudic et Hohac combien quelle est dangereuse, et est presque my voye de l'ung à l'autre et est presque en routte.  »

Horata, Hoiata, Houath  dans l'hagiographie de saint Gildas (XIe, 1605)

Au XIe  siècle, une Vie de saint Gildas a été écrite par Vitalis, abbé qui a succédé à Félix le fondateur de l'abbaye de Saint- Gildas-de-Rhuys.  Ce texte perdu a été retranscrit d'abord par Joanes a Bosco en 1605 puis par Mabillon en 1668. Nous en citons ici l'extrait concernant Houat. Il évoque le séjour (sans doute légendaire) de Gildas à Houat :
« Insula Horata feu Hoiata, verniculae Houath, exstat in freto Britannico, non longé à pago Ruyenu, à regione Venetae. »
« L'île d'Horata, ou Hoiata, en langue vernaculaire  Houath, se situe dans le détroit britannique,  non loin du lieu Ruyeni, du côté du peuple Vénète. »

Albert Le Grand utilise ce même Hoüath dans sa Vie des saints, datée de 1636. Et le « Horata » de Mabillon est retranscrit en « Horath » par Adrien Baillet dans une autre Vie des saints daté de1701.

Houad et Houadig comme le canard et le caneton (1698)

L'étymologie  la plus  vraisemblable  des toponymes  Houat  et Hoedic  reste  celle  popularisée  sous  l'image  « du canard et du caneton » dans une filiation apparaissant très directe. En breton, le mot houad signifie : palmipède, canard, oiseau de mer et, par ailleurs, une forme classique de diminutif dans cette langue est le suffixe « ig » tel que houad-ig. Le Dictionnaire de la langue bretonne de Le Pelletier faisait ce rapprochement dès 1698 :
«  Houät,  Canard,  oifeau  de riviere,  d’étang  & de mer. Davis  écrit Hwyad  (…) Hwyedig,  ce dernier  a la terminaifon  d’un diminutif du participe Hwyed (...) Il y a une ifle dépendante de Vannes, qui eft nommée Houat, dès l’onzième fiècle. »

Il faut souligner que cette étymologie  bretonne est incompatible avec les dérives linguistiques citées ci-dessus pour associer Siata à Houat.

Autres variations des graphies d’Hoedic et de Houat

La consultation du fonds Melvan révèle une grande diversité de graphie pour Hoedic et Houat depuis la première mention du Grand Routtier. Sans prétendre à l'exhaustivité, en voici une sélection où l'on reconnaitra des références souvent évoquées dans les publications de Melvan sur les deux îles.

- 1582 – d’Argentré : Houat, Hurdic.
- 1594 – Bouguereau : Houat, Hie die.
- 1636 – Albert Le Grand : Hoüath, Houädic.
- 1636 – Dubuisson-Aubenay : Houat, Oat, Heudic, Ouatdic.
- 1653 – Evêque de Vannes : HoatHedic.
- 1676 – Colbert : Hedic.
- 1676 – Varaignes : Hedicq, Houat.
- 1679 – Sentence arbitrale : Houat, Hedick.
- 1679 – Ordonnance de juges : Houat, Houet, Houët, Hoedic.
- 1695 – Ferme des dîmes : Houed, Hédic.
- 1696 – Burchett : Howart, Hodick, îles Cardinales.
- 1698 – Bechamel de Mointel : Houä, Hoëdie.
- 1746 – Jean Heury : Hoit, Haidic.
- 1746 – M. Beauvais : Hoüat
- 1746 – Queru des Chapelles : Hedik
- 1746 – Anonyme cité par Le Cam : HunatHydea
- 1764 – d’Expilly : HouacHoedic.
- 1772 – de la Rozière : Houat, Hédic.
- 1780 – Detaille : Hoüat, Hoedik.
- 1780 – Ogée : Houat, Hédic.
- 1780 – de Lozerec : Houat, Hédic, Heidic, Houadick.
- 1784 – de Kerveguen : Houat, Hœdic.
- 1785 – Le Lostec : Heydic.
- 1814 – de Auger : Houat, Hoedick.
- 1823 – Marion : Hœdik-île.
- 1823 – Glajan : Hœdik-île
- 1823 – Maheo : Houat.
- 1825 – Mahé : Houat, Hédik.
- 1826 – Bachelot de la Pylaie : Houat, Hédic.
- 1831 – Fournier : Hœdic.
- 1840 – Delalande : HœdicHouat.
- 1897 – Escard : Hœdic, Houat.
- 1902 – Ardouin-Dumazet : Houat, Hoëdic.
- 1903 – Neveu : Houat, Hœdic.
- 1911 – Verrier : Hœdic, Houât.
- 1932 – Le Cam : Houat, Hœdic.
- 1983 – Microsoft Word : Houat, Hoëdic
- 1990 – Floquet : Houat, Hoedic.
- 1997 – Bosc : Houat, Hoëdic.
- 2003 – Guémas : Hoedic.
- 2003 – Buttin : Hœdic, Houat.
- 2004 – Ouest-France : Hoëdic, Hœdic, Hoédïc, Houat.

Prononciation et graphie

À la lecture de cette liste, il apparait que la graphie de Houat s’est relativement  rapidement  stabilisée  et ne suscite plus de doutes ni sur son écriture, ni sur sa prononciation.  Pour Hoedic, la situation  est plus délicate.  La prononciation  actuelle de ce toponyme  est  un  franc  « é-dic  ». Elle  semble  être  historique,  si l'on  se  réfère  à la  fréquence  de  la  graphie  Hédic  dans  les documents  anciens.  On  entend  pourtant  souvent  aujourd'hui,  avec  un  petit  sourire,  le  «  o-é-dic  »  des  visiteurs  fraîchement débarqués. Cette prononciation résulte d’une graphie devenue dominante avec un tréma sur le « e » : Hoëdic. Cet accent apparait comme une coquetterie  linguistique,  justifiée  ni par l'histoire,  ni par la prononciation.  Autant dire une cacographie...  Avec un tréma, le « o » doit apparaitre bien distinct du « e », de même que pour « No-ël » ou « Jo-ël ». Le correcteur d'orthographe  de Microsoft Word ayant retenu ce tréma pour Hoedic, contribue fortement à une utilisation élargie de cette graphie erronée, du coup perçue  comme  correcte,   ceci  jusque  dans  les  documents   des  collectivités   territoriales.   On  trouve  aussi  dans  les  écrits contemporains  la graphie  Hœdic  respectant  la prononciation  «  édic  »,  comme  dans  «  œcuménique  »  ; ou bien Hoedic  le  «  oe  » devant alors se prononcer comme dans   coeliaque et non comme dans   coefficient où il est suivi d'une double consonne. Parfois aussi d'autres graphies plus exotiques comme ce Hoédïc vu dans un article de presse en 2004... Une telle variation reste étonnante dans le contexte des règles linguistiques si strictes de notre pays...

Nous avons consulté les sources officielles. La Charte de toponymie du territoire français précise que les communes ont un numéro de code et une graphie légale enregistrés dans le Code officiel géographique (COG), avec une précision « à l'exclusion de toute autre publication émanant ou non d'une administration ». Le COG a été mis en place en 1943 et est publié par l'INSEE. Les codes  et libellés  donnés  pour  les deux  îles sont  : 56086 - Île-d'Houat  ; 56085 - Hœdic.  Ils appellent  quelques  commentaires.

Étonnamment,  le nom de Houat est précédé du suffixe île, mais pas celui d'Hoedic — doute sur la nature insulaire de Houat...? Cela provient  plus vraisemblablement  de la façon dont les informations  ont été transmises  par les municipalités  en 1943. Par ailleurs,  la graphie  d'Houat  suggère  un «  H  »  muet, alors que la pratique  usuelle  est de parler de-Houat  avec un «  H  »  aspiré.
L'écriture d'Houat semble avoir été commune autrefois : c'est celle des premiers cachets de la poste au début du XXe  siècle. Les deux graphies coexistent cependant encore sur le site internet de la municipalité.

Pour Hoedic, la graphie officielle est avec un e dans l'o, Hœdic. Néanmoins l'INSEE utilise aussi la graphie   Hoedic   sur son site   internet. Consulté sur cette double graphie, l'institut nous précise «  qu'il s'agit d'un problème d'affichage des caractères spéciaux  »,  le e dans l'o n'étant pas simple à obtenir sur un clavier. L'INSEE  s'autorise  donc les deux orthographes  Hoedic et Hœdic, la deuxième forme restant la seule officielle. En pratique langagière, contrairement à Houat, le « H » de Hoedic est muet : d'Hoedic et non de-Hoedic.

Pour sa part Melvan, pour ses publications, confirme sa graphie pour les îles d'Hoedic et de Houat.